CONVERSATIONS SECRÈTES


écrit pour l’exposition Sans vous, rien ne se fera à Mains d’Œuvres, Saint-Ouen, sur une invitation d’Isabelle Le Normand

le texte intègre des citations de Georges Courteline, Frank Herbert, Vladimir Nabokov, Ferny Besson, Fiodor Dostoïevski


Certains ne participent jamais à l’événement.
La vie leur arrive, tout simplement.

Ne venez pas. Ne venez pas et encore moins à l’heure, soyez en retard, vous serez déjà dans le vrai. Le vrai ? L’injuste  !
L’enfer en or pourrait bien se révéler être une amphore en fer, et la foule un leurre.

Vous devrez supporter d’être séparé de celle qui vous accompagne.
De la voir s’éclipser avec un autre homme, descendre un escalier.
Lorsqu’elle reviendra, elle aura changé. Et vous aussi.
Vous aurez atteint le point de non-retour.
Vous pourrez alors, et seulement à cette seconde précise qui vous sépare d’elle, remonter en arrière.

Vous devrez choisir, à gauche à droite. Soyez prudent.
La vue borgne de l’univers vous dit que vous ne devez pas chercher des problèmes loin dans les champs.
De tels problèmes pourraient ne jamais se poser.
Surveillez plutôt le loup qui a franchi la clôture.
Les meutes qui courent au-dehors pourraient bien ne pas exister.

Soyez en retard pour bénéficier de l’effet. Cause préludant des actes.
Les conséquences ont été envisagées, analysées, et précèdent les choix.
Ce sont les actes qui comptent. On essaiera d’être vrai, juste, mais non  !
Car la justice immanente n’existe pas, cela vous sera démontré.
Toujours le crime serait puni et la vertu récompensée  ?
Au plus compliqué des drames le plus simple des dénouements ?

Vous auriez voulu vous enfuir, mais il en va ainsi de certaines personnes  :
Traversées par la vie, elles ne peuvent échapper à leur destin.
Oui, il y aura du suicide, de l’effondrement, des tremblements de terre, des sauts dans le vide, des bombes et des incendies, mais aussi le tremblement de vos mains, vieil homme que vous serez devenu.
Car vous n’avez jamais été adolescent, c’est une invention du 19e siècle.
La radio l’a proféré ce matin.
C’est par elle que vous saurez si vous devez vous confiner, et non par la télévision.
La télévision prolifère mais c’est un leurre, la radio s’approche à petits pas de loup de votre oreille, et vous êtes le creuset de toutes choses.
Il y a des amertumes qu’aucun édulcorant ne saurait adoucir.
Si votre foi en l’immortalité est détruite, tout sera permis.
Enfin.
Et si c’est amer, crachez.
Traduisez les fautes, et signez au bas de la page.

Oui, il y aura de l’attente, de la progression – et non du progrès, de la compromission – sans compromis, il y aura Jon, des femmes en pantalon rouge d’une classe absolue, des revers de tennis, une jeune fille en tenue de badminton, des armes.
Des meurtres seront commis, actés, enregistrés au procès-verbal.
Une voiture vous attendra au bas du perron.

Je voudrais vous inviter.
Agissez prudemment.
Vous pourriez bien ne pas sortir indemne.

Vous lirez un livre que personne n’a jamais lu.
Vous rencontrerez une femme qui a invité Elvis Presley et classé la beauté du geste par ordre alphabétique.
Vous la suivrez.

Vous n’avez pas la maîtrise exacte du temps.
Vous êtes sur une route de terre battue.
Dans une voiture arrêtée.
Vous saurez que le temps est rythme, rythme d’insecte d’une nuit chaude et humide, onde cérébrale.
Ce sera vos montres fidèles.

Vous êtes en attente.

Sachez qu’une femme qui sait recevoir “ira jusqu’à se compromettre, à raconter ses souvenirs les plus intimes, à trahir son secret”, et même “à dire ce qu’elle pense”, plutôt que de laisser tomber la conversation dans son salon.

Pratiquez alors l’attitude du couteau :  couper ce qui est incomplet et dire “Maintenant c’est complet, car cela s’achève ici.”


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