EXACTEMENT


paru dans La Belle Revue, n°5, 2015, p. 74-75

feuilleter La Belle Revue, n°5, 2015


 

 La vraie vie ? Ça n’existe pas, naturellement : ce serait trop facile. Tu ne t’en tireras pas comme ça, en pensant que faire des étagères t’inclut dans la réalité. En réalité – ou « en vrai », si tu y tiens : la réalité à venir est incluse dans les preuves avancées sur le retard de l’évolution, rendant nulle et non avenue l’espèce elle-même. Là, tu vois : on n’y peut rien, il n’y a rien à faire.

Boris Bergoff, Le Deuxième Étage

Que faire ? Que défaire ?

Catherine Redelsperger, Le Sauvage

Nous sommes au tout début, voyez-vous.
Comme avant toute chose.
La nuit est chaude et humide, sauvage, peut-être.
Vous avancez masqué. Un masque à l’image de votre visage, Cruise face contre face voyant s’échapper Kidman prête à tout pour réussir. Mais pouvez-vous réellement fuir ?

7%
Les répliques lentement mais sûrement infusent votre vie quotidienne.
Il s’agit de se glisser dans les interstices.
Citer une réplique, un auteur, faire un jeu de mot sur un titre, et en faire un mail spirituel.
Pourquoi faire ? Pour quoi défaire ?
: Passer la frontière.

6%
Vous pouvez écrire des articles, des bouquins, photographier, tourner des films, plâtrer, mouler, enduire, peindre, construire une installation que vous vendrez très cher à un collectionneur sud-américain (dans une ville déserte sous un soleil oblique comme un plancher d’un appartement suite à la prise inopinée de LSD, etc.), performer même. Vous êtes producteur. Un putain de producteur, certes.

4%
Mais citer dans « la vraie vie ».
Savoir à quel moment c’est à toi d’attaquer. Sans jamais signer.
Citer une réplique d’un rôle dont vous aviez réussi à faire disparaître toutes les répliques, sauf une, sauf celle-là, exactement.
Citer des chansons, des films, always.
Se citer soi-même, même.
C’est
: passer la frontière.
Retourner l’arme.

9%
Pas seulement l’adapter – ce serait trop facile.
Retourner l’arme. Pratiquer le suicide-meurtre.
Boom.
Boom boom boom.

0,3%
Bribes de chanson dans la conversation, répliques jamais prononcées sur scène dans la vie quotidienne : et ça ne veut rien dire, strictement, ça n’a pas de sens, il n’y a pas d’objectif. Ou plutôt votre objectif ultime, c’est
: passer la frontière.
Réussir à passer cette putain de frontière. Pour que ce qui nous tombe dessus, enfants que nous sommes, ce soit une putain de solution irrationnelle – et unique. Ça a toujours été ça, même lorsque vous viviez les choses de l’intérieur.

4%
Ensuite vous n’avez fait que migrer d’un état à l’autre, vous n’avez fait que choisir d’autres territoires à franchir. Ukraine-Russie. Quand vous dites que vous voulez être [illisible], que tout soit vrai, à toute heure, qu’est-ce ça peut faire ? Qu’est-ce ça peut foutre ? Que tout est fiction, que tout est réel. Et que vous pouvez réellement devenir une putain à Monaco, pour le même prix. C’est pareil. Exactement.

2%
Il s’agit de se glisser dans les interstices, en dehors du spectacle, à côté des œuvres.
Faire de l’art, ou se défaire de l’art, ça a toujours été ça. Pas seulement pour les cocktails et les diamants. Quitter la campagne, l’exil. Faire acheter une voiture pour aller courir le Grand Prix de Monte Carlo. En vrai.
Vous pouvez citer Nabokov, les Venga Boys, John Brunner, Thomas Clerc, Bon Jovi, Gus Van Sant, un réalisateur-hypnotiseur, une auteure de science-fiction, un groupe des années 80, un inconnu, vous-même. Vous singer même. Libérer le singe. Faire du stop pour partir à Stockholm. Créer une entreprise où ce que vous écrivez sera cité par le Premier ministre et dire du Rilke à table en mangeant des choses très chères à la truffe : après tout c’est égal. C’est
: passer la frontière.
C’est un coup à devenir cinglée, vous dit un de vos amis.
Exactement.
Exactement comme ça
serait

1%
trop long.


retour Textes/Publications